mardi 2 septembre 2008

LES VOYAGES OUTRE-MER DU CURÉ CORBEIL

(V)

La croisière de 1925


Deuxième escale : Madère

De la Cadillac au char à bœufs


Dans ce passage, Corbeil parle de Madère, alors que c’est un peu au large de Funchal, principal port et chef-lieu de l’archipel de Madère, qu’il est en fait descendu du Providence, accompagné des frères Pagé.

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Causerie du 10 mai 1925 (troisième tranche)


M AD È R E

Madère, 19 janvier.

« C’est la perle de l’Atlantique. Nous y arrivons de grand matin. La mer est très agitée et le navire est soulevé par de grandes vagues ayant de 15 à 20 pieds de hauteur. Le commandant hésite à nous laisser débarquer et pendant qu’il discute de la situation avec ses officiers et ses matelots, nous nous amusons à jeter des sous aux enfants venus du rivage dans des petites barques et qui plongent tout autour du bateau pour recueillir les sous que nous leur jetons. Quels nageurs merveilleux et quels plongeons! Ce ne sont pourtant que des enfants de 10 à 15 ans et ils sont comme des poissons jouant dans les grandes vagues.

Enfin le commandant, bien à contrecœur, consent à nous laisser descendre, car les chers matelots français répondent du succès. Nous nous confions à eux et nous ne sommes pas déçus, car ils sont merveilleux d’adresse et d’endurance. Ils nous glissent dans de grandes barques au moment où la vague les soulève et les amène à la hauteur de l’escalier du navire. »Descente de passagers dans une chaloupe à partir de la passerelle du Providence.

Photo aimablement fournie par Alice Lamothe-Lilley.


« Le débarquement sur les quais est aussi bien mouvementé, mais nous sommes enfin à Madère, heureux et contents des émotions que nous venons de connaître.


Madère est une ville curieuse qui, malgré les touristes nombreux, garde ses traditions. Malheureusement, la venue en masse de riches étrangers a amené dans cette île merveilleuse une nouvelle et répugnante industrie, «la mendicité». Des hommes vigoureux et pleins de santé tendent la main sans honte et que dire des femmes et des enfants; une large partie de la population vit de la charité et sollicite sans vergogne les étrangers; les refus ne les découragent pas; ils s’attachent à nos pas et nous harassent de leurs plaintes, jusqu’à ce que, fatigués, on leur jette quelques sous pour s’en débarrasser. Ils sont sans fierté et nos indignations ne les touchent pas. Ils mettent tout leur esprit à vous arracher une aumône. À part l’ennui d’être sollicités par des milliers de quêteux, c’est un délice de séjourner à Madère. »

Une rue de Funchal en 1925.

Photo gracieusement fournie par Alice Lamothe-Lilley.


« C’est l’été continuel, sans grande chaleur et sans froid. Ce 19 janvier, la terre est parsemée de fleurs et nous cueillons les fleurs les plus variées; tout est pour réjouir dans ce paradis terrestre : la beauté des sites, la magnificence des hôtels, des villas et de l’originalité de la population, qui porte un costume spécial et parle une langue très harmonieuse. À côté d’automobiles somptueuses, il y a la voiture nationale, le « sleigh » avec son baldaquin aux tentures très élégantes, tirées par des vaches ou des ânes. Tous les étrangers se paient pour quelques sous le plaisir de voyager dans ces équipages antiques. »


Traineau à bœufs traditionnel à Funchal.

Photo : Internet.


« Madère est sise au pied d’une haute montagne. Grâce au funiculaire, nous montons à 3 300 pieds; il y a là un grand hôtel très luxueux avec des terrasses splendides; nous y prenons le dîner et nous jouissons d’une des vues les plus merveilleuses. À nos pieds, Madère, avec ses jardins, ses parcs, ses palais merveilleux et son joli petit port où la foule […] circule, nous apparaît comme une multitude de fourmis en activité!


Puis, la mer, l’infini de l’horizon. C’est un panorama vraiment enchanteur. Après un copieux et succulent dîner servi sur la terrasse et pris en joyeuse compagnie, nous redescendons à la ville, mais cette fois, c’est dans des paniers fixés sur des traîneaux et que dirigent, au moyen de câbles et en courant, tantôt en avant, tantôt en arrière, des guides très agiles et expérimentés. C’est une glissade de 5 milles sur une piste faite de petits cailloux ronds, de la grosseur des œufs, sur une terre rouge qui est comme du mastic. »


Les fameux paniers utilisés pour ramener les touristes du sommet de la montagne. Dans les années 1960, mes parents auront l’occasion de revivre l’expérience de Corbeil en montant à bord de l’un de ces paniers. Ma mère ignorait à ce moment-là que le curé, qui avait officié à son mariage et baptisé l'aînée de ses filles, avait éprouvé cette même sensation, 40 ans plus tôt. Ma sœur Monique m’a assuré que mon père en avait rapporté

des diapositives et qu’il avait eu une peur bleue lors de cette descente. Photo : Internet.


« À mi-côte, les guides arrêtent devant un cabaret pour se faire payer un verre de vin qui doit être très bon si on en juge par le prix! Mon ami Henri Pagé pourra vous dire ce qu’il a payé. Cette voiture, particulière au pays, est très amusante, mais aussi très fatigante et, quand la course finit, nous débarquons, je constate que je suis tout moulu. Les pourboires distribués, nous nous rendons prendre le thé au grand hôtel Reidi, somptueusement bâti au milieu d’un parc, sur le bord de la mer. De là, nous allons dans les magasins où mes compagnons achètent de belles broderies. Madère, on le sait, renommée pour ses broderies et ses dentelles qui, au témoignage des dames, sont des merveilles.

Scène de rue à Funchal. Photo prise lors de l’escale de Corbeil,

aimablement fournie par Alice Lamothe-Lilley.


« Enfin, l’heure du retour au bateau est venue et Henri Pagé et moi, nous retournons tranquillement au quai, traînés dans un traîneau luxueux par deux gros bœufs.


Le retour au bateau, le soir est encore très mouvementé. »

[À suivre]

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NOTE Hervé Tremblay, l’érudit historien de la Haute-Mauricie, me signale que le commerce d’Arthur Daneault était situé à l’angle nord-ouest des rues Saint-Joseph et Joffre et non dans l’édifice voisin de la maison de mes grands-parents Bergeron, rue Saint-Eugène. Cet édifice, en face de l’école Centrale, avait déjà eu comme locataire Jacques Fortin qui y opérait un dépanneur. Si je me rappelle bien, celui-ci avait été un temps le distributeur des bières O’Keefe dans la région, concurrent d’un autre Tremblay, Réjean, qui, lui, vendait de la Dow.


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