lundi 13 octobre 2008

LES VOYAGES OUTRE-MER DU CURÉ CORBEIL

(XI)

La croisière de 1925

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Causerie du 10 mai 1925 (neuvième tranche)

L’ITALIE

N A P L E S

« ‘Voir Naples et mourir’, dit le poète. J’avoue n’avoir pas été ému à ce point et je suis sûr qu’il y a encore sur la terre des choses bien plus belles que Naples.

Tout de même, Naples est une bien belle ville, mais ce sont surtout ses alentours qui attirent les touristes; le Vésuve, Capri, Pompéi sont des promenades vraiment ravissantes et intéressantes. Pompéi est cette fameuse ville où l’on avait réuni les plus grandes richesses, où les villas étaient les plus somptueuses et où vivaient les plus riches Romains, uniquement occupés de leurs plaisirs.

Or, un jour de l’an 79 [de] l’ère chrétienne, le Vésuve, soudainement, se mit en éruption et couvrit toute la ville de cendres et de lave d’une hauteur de 30 à 40 pieds. Après quelques heures de cette éruption, il ne restait plus rien de cette ville fameuse et de sa population d’environ 30 000 âmes. Aujourd’hui, après un travail qui dure depuis près de 100 ans, on a déblayé près de la moitié de la ville. On y retrouve des rez-de-chaussée de maisons, les rues, les places publiques, les statues et toute[s] sorte[s] de choses qui rappellent la vie antique. C’est donc un saisissant spectacle que ces ruines qui évoquent l’une des plus grandes tragédies de l’histoire du monde.

Naples, comme toutes les villes, a son quartier ouvrier, lequel est sale et inconfortable, avec des rues mal pavées et un quartier fashionable avec ses châteaux, ses musées, ses boulevards de toute beauté. Ses églises sont très belles, mais ouvertes seulement pendant quelques heures chaque jour. Les monuments religieux que l’on trouve sur chaque rue sont très beaux et disent que ce pays est catholique. Cependant, ce peuple ne prie pas beaucoup et observe peu les préceptes de la religion. C’est peut-être la cause de cette plaie terrible qui afflige les peuples anciens : la mendicité. Partout, nous sommes assaillis par une armée de mendiants sans fierté et sans pudeur.

Nous revenons au bateau où nous rencontrons un groupe de Français, de Belges et d’Espagnols qui se joignent à nous pour achever la croisière. La vie sur le bateau devient plus agréable du fait de la présence du groupe français. Nous faisons bientôt connaissance et j’ai le plaisir de nouer avec eux des relations bien agréables.

Nous continuons la croisière. Saluons au passage le Stromboli, ce grand volcan toujours en éruption. Comme il est beau dans la nuit avec son panache de flammes et cette grande coulée de lave rouge qui vient se perdre dans l’océan. »

(À suivre)

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Cartes expédiées à Éliane Bergeron, à La Tuque


28 janvier 1925

Ma chère enfant.

Il fut un temps ou l’on pouvait dire « Voir Naples et mourir». Ce temps doit être bien loin. En tout cas, j’ai vu Naples et je désire vivre encore longtemps pour apprécier les jolies choses qui ne sont pas ou ne sont plus à Naples.

Quelle ville !


Il y a d’abord tout un peuple de mendiants qui te font violence; les rues sont mal entretenues; les parcourir en automobile est un supplice tout spécial. – Les rues sont pavé[e]s de blocs de roche qui était autrefois la lave du Vésuve qui a couvert Pompéi. Ces roches aligné[e]s soigneusement autrefois n’ont pas été touchées depuis des années, alors…

… il y en a qui surplombent, d’autres qui s’affaissent et tu as la sensation de rouler sur les tailles (dormants) d’un pont de chemin de fer. Ajoute que la ville est sale et que tout un peuple d’enfants en guenilles grouille dans les rues étroites, tu verras que c’est peu intéressant.

Cependant …

… il y a là les plus beaux monuments du monde. – Des chapelles merveilleuses, vides d’adorateurs et de priants. Il y a des parcs aux plantes rares et variées, des fleurs à ne savoir qu’en faire et un ciel unique.

Et au-dessus de ces beautés et aussi de ces misères, le grand Vésuve qui fume toujours et ne cesse de …

… rappeler ses épouvantables cruautés. – Pompéi, 2500 morts en quelques heures et une ville immense, riche de toutes les richesses de l’Orient, ensevelis sous 35 pds de cendre rouge et de lave bouillonnante.

Quel drame !

Mon voyage se continue, bien agréable, avec une société – Américains bien intéressants. Une moitié nous ont quitté à Naples et ont été remplacés par des Français. – Nous n’avons pas encore fait suffisamment connaissance pour que je t’en parle. Garde-moi ces cartes. Je pense souvent à La Tuque et, malgré toutes les joies du voyage, je me sens plus attaché que jamais à vous au pays.

J’espère trouver des lettres à mon passage à Marseille. Que j’ai hâte de vous lire. Nous passons ce matin au milieu des îles qui forment l’archipel de la Grèce. – Je t’ai quitté[e] un moment pour examiner le Cap St-Ange. – Il s’achève très haut…

… dans le ciel et à ses pieds, sur le rivage, on aperçoit le tombeau d’un saint ermite qui a longtemps vécu en ce lieu et qui fut très serviable aux marins, entretenant, la nuit, du feu qui les guidait au milieu des récifs. Aujourd’hui, le gouvernement entretient en ce lieu un phare.

Voilà l’équipage que l’on rencontre le plus souvent dans les rues. – Un cheval, un bœuf et un âne et un Italien. Cherche le moins bête.

Ritorno de Montevergine [Retour de Montevergine], abbaye célèbre.

Attelage et équipage de luxe napolitain.

Les Italiens ont une réputation de voleurs tellement bien établie qu’ils ne peuvent pas commercer entre eux. Les laitiers traînent donc leur troupeau de chèvres ou de vaches avec eux dans les rues de la vil le et chacun vient avec une tasse, un verre, une bouteille, vient chercher le lait extrait du pis de la vache pour chaque demande.

Quel pays !


Carte promotionnelle de la Fabre Line, rapportée par Corbeil.


Commentaires sur les cartes de Naples

Le ton plutôt paternel du curé à l’endroit de ma tante Éliane montre bien son affection à l’endroit de celle qui fut sa secrétaire. Cette même sollicitude à l’endroit des enfants Bergeron est évidente sur une carte de Marseille envoyée plus tard à Léo. En ces années de colonisation, le curé se voulait le protecteur de ses paroissiens et encourageait, dans la mesure de ses moyens, les sujets les plus doués à poursuivre leurs études. C’est ainsi qu’Éliane a pu fréquenter l’École normale, à Nicolet, et que Léo est allé au Séminaire de Québec.

Heureusement que Corbeil atténue ici quelque peu ses critiques. Il faut dire, à sa décharge, que, de nos jours encore, certains quartiers de la ville n’ont pas très bonne réputation. Et qui n’a pas déploré la laideur des accès aux grandes villes, un peu partout, à travers le monde?

À quelques reprises, Corbeil mentionne la réception de lettres en provenance de La Tuque, entre autres, de la supérieure du couvent, d’amis, d’Éliane, de Léo. Malgré mes recherches poussées, ces envois demeurent introuvables dans les archives et le fonds de la paroisse ou celui de Corbeil. Il serait si intéressant de pouvoir compléter ce travail par l’étude de cette correspondance mystérieusement disparue. Nous saurions, par exemple, ce qui se passait dans la ville en l’absence de son pasteur.

Commentaire plutôt farfelu de Corbeil. Le curé ne rate aucune occasion de qualifier les Napolitains de « voleurs », une caractéristique que plusieurs semblent encore partager aujourd’hui. Petite anecdote : mon père, Hervé Raîche, en visite en Italie, s’était fait soutirer la casquette qu’il portait par un gamin qui a pris la poudre d’escampette. Tous ont trouvé cette subtilisation amusante, sauf la victime, bien insulté de l’audace du jeune Italien!


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