vendredi 26 septembre 2008


LES VOYAGES OUTRE-MER DU CURÉ CORBEIL

(X)


La croisière de 1925

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L'ITALIE


Causerie du 10 mai 1925 (huitième tranche)

P A L E R M E

Palerme. Carte postale rapportée par Corbeil.

« Nous sommes en Sicile, la grande île de la Méditerranée, célèbre par son climat merveilleux; c’est l’été continuel, sans grande chaleur et sans froid, et par l’Etna, le plus grand volcan du monde, haut de 3 500 [pieds] qui la domine avec une grande majesté. Palerme est la ville principale de l’île, c’est une très belle ville. Elle possède des palais et des églises de toute beauté. »

Intérieur de l’église de Montreale. Italie. Carte rapportée par Corbeil.

« L’église de Monreale est, au dire des connaisseurs, la plus belle du monde et nous pouvons y voir les vêtements sacerdotaux [des] Xe, Xle et XlIe siècles. De même, des vases sacrés en or ou en argent de la même époque. Le palais du roi et sa chapelle intérieure est [sic] un bijou artistique. On a réuni là tout ce que la terre offrait de précieux en pierre ou en métal. »

Cathédrale de Palerme. Carte rapportée par Corbeil.

« Une curiosité qui étonne les étrangers, ce sont les catacombes. Les catacombes sont, à proprement parler, les caves du couvent des capucins. Dans ces caves, on a réuni environ 8 000 momies que l’on a exhumées du cimetière voisin. Cette terre volcanique a la propriété rare de momifier les cadavres au lieu de les changer en poussière comme ailleurs. C’est tout de même un spectacle macabre. Imaginez des souterrains où des milliers de cadavres, les uns gardés dans des boîtes de verre, les autres tout simplement accrochés au mur ou au plafond, et promenez-vous là-dedans ! »

En 2006, j'ai visité l'église de Monreale et la cathédrale de Palerme. Mais j'ai refusé d'aller à la crypte des Capucins, ce lieu lugubre que Corbeil nomme « les catacombes ». Archives de Micheline Raîche-Roy.

« Il y a les couloirs réservés aux capucins, celui réservé aux évêques et [aux] chanoines (les boîtes sont de verre), deux réservés aux nobles bienfaiteurs (les boîtes sont de verre). Ceux réservés au populo, dont les boîtes sont accrochées au mur ou au plafond. Il y a là des cadavres de morts relativement récentes, morts de 1878 à 1880. Pour une curiosité, vous admettrez avec moi que c’en est une vraie. »

(À suivre)

Crypte des Capucins à Palerme. Archives de Micheline Raîche-Roy.


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lundi 22 septembre 2008


LES VOYAGES OUTRE-MER DU CURÉ CORBEIL

(IX)

La croisière de 1925

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L’ALGÉRIE

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Causerie du 10 mai 1925 (septième tranche)

A L G E R

« Le lendemain, nous visitons Alger. Il faudrait un volume pour décrire les beautés de la ville, ses palais musulmans, ses jardins si pittoresques, ses mosquées et ses monuments. En haut de la ville moderne se trouvent les quartiers arabes qui s’appellent la Kasbah, dont la principale rue, large d’environ 20 pieds, n’a pas moins de 500 marchés. On comprend combien est intéressante la visite de ce quartier où l’étranger peut prendre contact avec la vie arabe primitive. Il y a un si grand nombre de petites rues étroites, irrégulières qui forment un labyrinthe où l’on se perdrait facilement sans nos guides.

Les vieilles maisons de pierre à plusieurs étages sont serrées les unes contre les autres, avec au rez-de-chaussée de petites boutiques, mal éclairées et sales, où le marchand attend sans se lasser le client qui lui achètera ses bibelots. C’est la vieille ville bâtie autrefois, alors que les guerres multiples obligeaient les citoyens à se concentrer pour mieux se défendre.

Nous ne dirons qu’un mot de la ville moderne ou plutôt de la cathédrale catholique, car elle a une histoire bien intéressante. C’était autrefois une ancienne mosquée, il y a environ 500 ans, lors de la conquête de ce pays par les Turcs, le chef arabe d’Alger était un converti au catholicisme. Vaincu par les Turcs, il fut amené devant son vainqueur, qui lui proposa de lui laisser la vie, ses palais, ses richesses, s’il voulait redevenir musulman. Le grand chef vaincu préféra le martyre; il fut torturé puis, encore vivant, couvert de plaies, roulé dans de la chaux vive et enterré dans sa mosquée afin de servir d’exemple et d’apprendre aux musulmans le sort qui leur serait réservé s’ils devenaient apostats.

Quatre cents ans après, la France chassait les Turcs et donnait à l’évêque catholique, pour qu’il s’en fasse une cathédrale, la mosquée où était enseveli ce martyr de la foi et son ancien palais devenait l’évêché du nouveau diocèse. C’est une très vieille et très belle église. Tout à côté, il y a la statue de Bugeaud, le grand ministre qui assura à la France la belle conquête de l’Algérie. Il fait bon se rappeler que Louis Veillot, ayant alors 18 ans, fut le secrétaire de Bugeaud et rédigea un rapport vraiment prophétique sur l’avenir de l’Algérie."

(À suivre)

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Remarques et opinions de Corbeil sur Alger et ses habitants.

Les quelques propos, rédigés au verso des cartes postales reproduites ici, ont été adressés par Eugène Corbeil à sa secrétaire, ma tante Éliane Bergeron. Les aurait-il proférés en public ? Je n’en suis pas sûre du tout bien que sa causerie comporte certains passages qui ne font pas dans la rectitude politique. Faut-il se surprendre de ses énoncés chauvins, xénophobes, voire racistes?

Imaginez les réactions des gens si ces propos étaient publiés de nos jours. Notre pauvre curé serait obligé de se rétracter et d’offrir des excuses publiques. Arabes et musulmans riposteraient surement à ses jugements plutôt intempestifs et à ses insultes.

Faut-il voir là la réaction simpliste d’un petit curé de campagne devant un monde si différent, comme étant celle d’une victime d’une éducation contrôlée et dispensée par des clercs. Certes, il a dû écrire sous la première impression, sans trop réfléchir à cette réalité de la vie au Moyen-Orient, à des années-lumière des conditions de vie de l’Amérique, lui semble-t-il. Bien que le quotidien de plusieurs colons des provinces éloignées des centres urbains du Québec et de l’Ontario n’ait guère été parfois si différent de celui de ces gens. Qu’on pense à ces exilés frauduleusement attirés en Abitibi sous les conseils de prêtres colonisateurs, paniqués à l’idée que leurs ouailles passent aux États de la Nouvelle-Angleterre dans cet univers infernal qu’était la ville ! Il valait mieux les parquer sur des terres incultes, loin des attraits maléfiques de la vie moderne, à récolter de la pierre avant de devenir du « cheap labor » dans les industries détenues par de vrais étrangers.

Il y a, dans les propos d’Eugène Corbeil, beaucoup de suffisance. C’est celle de quelqu’un qui a été éduqué dans un système scolaire au carcan très étroit, celui de la théocratie, où la liberté de penser par soi-même était impensable. « Hors de l’Église, point de salut », proclamait-on en ces temps où l’habitant de la paroisse voisine était déjà l’étranger. Le curé, comme les notables de son aréopage, prétendait détenir LA vérité. Sa vision du monde était la seule acceptable. Malheur à celui et à celle qui oseraient remettre en question cette autorité venue de très haut...


Alger, la belle.

Le quartier europé[en]. C’est riche. C’est beau, toutes les merveilles construites pendant six cents de domination turque ont été conservées, améliorées par les grands Français qui ont conquis l’Algérie.

Alger, 23 janv. 1925

1. Ma chère enfant,

Nous quittons Alger après eux jours passées à visiter cette vieille ville arabe. C’est une leçon intéressante qui complète bien les notions très superficielles que les lectures m’avaient laissées. – Voici un coucher de soleil qui fait rêver.


2. Presque toutes les maisons arabes ont des fenêtres grillées pour plusieurs raisons : pour la protection des femmes contre les entreprises des voisins, pour défendre le foyer contre les révolutions, si fréquentes chez les arabes. –

En tout cas, tout ce peuple arabe est un peuple abruti qui préfère la dépendance, l’esclavage à la vraie liberté. – Il y a cependant encore des belles personnes à voir. [?]

3. Voilà qui annonce une certaine tenue de la grâce, mais celles que j’ai vues des jeunes filles arabes, étaient vêtues avec des haillons.

Il y en a mieux partagées sans doute, mais c’est l’exception. –

La condition de la femme arabe, pour être moins pénible qu’autrefois, reste encore très misérable. –

Vive notre cher pays et nos jeunes Canadiennes. Comme leur vie est meilleure et comme elles sont supérieures à toutes.

Il y a beaucoup d’Anglais riches qui vivent à Alger, attirés par ce printemps éternel, qui fait notre étonnement à tous. – Ils se sont construit une belle église. – Cela ne vaut cependant pas les églises catholiques.

Une jolie idylle. –

Cela doit surtout se trouver sur les cartes ??

Cette rue domine le port. C’est très beau.- J’espère que tout va bien à La Tuque. J’ai bien hâte de vous revoir tous. – Ce sera au commencement d’avril très probablement. – Je chasse l’ennui en essayant d’acquérir le plus possible de connaissances.

Voilà une jolie vue de la mer par certains soirs de calme et de lune.


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